Documents et lettres |
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J'ai choisi de publier ici des documents et lettres en respectant l'anonymat. Les éléments manuscrits sont retranscrits pour une meilleure compréhension. Les deux premiers papiers sont adressés au même homme mobilisé de 48 à 50 ans, de 1914 à 1916 et affecté à un poste de secours. Chacun se fera son idée de l'impact de ces documents sur un homme qui voyait mourir presque tous les jours ceux qui auraient pu être ses enfants. |
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Jeudi 3 Aout 16
Mon cher P… Voilà deux ans que nous étions de retour de Choisy-au-bac où tous les ans, depuis seize ans,nous allions passer des vacances inoubliables ! Pour moi vacances de travail qui me faisaient rapporter à Paris une quantité de choses que je n’aurais certes pu faire à Paris, où la vie d’un artiste est plus agitée que celle d’un bourgeois repu ! Ah ! Ce premier moi de la guerre qui allait tout décider de l’écrasement de la France ou de son triomphe, quel mois d’angoisses ! Enfin la bataille de la Marne a tout mis en place, les Boches surpris , battus, ont tourné le dos à ce Paris qu’ils voulaient prendre en un tour de main, et comme des blaireaux de sales bêtes puantes ils se sont terrés, et nous ont imposé cette Guerre qui sera la première et grande cause de leur défaite et de leur écrasement final. Que Dieu en soit loué !. Je ne t’ai pas vu beaucoup à ta dernière permission, et ta tante et tes cousines m’ont dit qu’au point de vue de la guerre tu voyais tout en noir, à tel point que de tes impressions il ressortait que si La Guerre ne finissait bientôt, ce serait la Révolution partout. Mais où as-tu puisé de pareilles pensées ? Quels esprits malfaisants avaient pu déteindre sur tes sentiments que je croyais élevés et patriotiques ? Est-ce ton retour à C... qui a pu même court, avoir une telle influence ? Ce n’est pas dans les tranchées d’Alsace, où pour le moment tout a l’air d’être au repos ! Si par hasard il en était ainsi, révolte toi contre ces pensées molles et veules qui en temps de Guerre et Quelle Guerre ! sont tellement dissolvantes qu’elles conduisent à un manque d’amour-propre, de caractère, à la lacheté. Dis moi vite que tu ne penses pas ainsi, que ce cafard n’a été que passager . Ne te laisse pas embobiner par les raisonnements et les découragements de qui que ce soit. Sois personnel tu dois penser sainement et élever ton âme à la hauteur des sacrifices que la France, notre belle France, si glorifiée aujourd’hui dans le monde entier, a demandé et demande à ses enfants. Pense à toutes les morts sublimes, à toute cette jeunesse qui en chantant depuis le commencement des hostilités monte à l’assaut, présente ses jeunes poitrines à la mitraille ennemie. Haut les cœurs ! s’il en était autrement, il serait inutile de m’écrire ; mais je suis tellement sur du contraire que j’attends une longue lettre de toi, et lettre un peu plus détaillée que celles que tu m’écris quelquefois. Ecris de temps en temps à tes tantes X… et X…, je sais qu’elles sont très délaissées là-bas à C… ! Ton père entrainé par qui ? par quoi ? en tout cas, en collaboration de X… ! a écrit d’une façon tellement brutale et méchante à X…(1 des 2 tantes) que j’en ai été révolté. Sachant combien il a été secoué par ses hémorragies l’an dernier, j’aime mieux ne pas lui écrire et lui faire comprendre par mon silence toute l’amertume que j’en ressens. Au revoir mon cher P…, ta tante et tes cousines t’envoient leurs plus tendres souvenirs et moi je t’embrasse de tout cœur. Nous venons d’éprouver un gros chagrin, nous avons un cousin germain de la tante X…, R… X…, lieutenant de cuirassiers passé dans l’aviation, a été tué dernièrement à Verdun en revenant comme observateur à trois cent mètres , au dessus des attaques du 21 Juin sur Verdun. Il était adorable et nous ne pouvons penser à lui sans émotion. Quatre citations, palmes étoiles et croix de Chevalier de la légion d’Honneur !
A bientôt, j’espère une bonne lettre Ton oncle
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115e BATAILLON DE CHASSEURS ALPINS -
Note de service -
Je vous rappelle que vous ne devez sous aucun prétexte, à moins d’accidents graves : (fractures, plaies pénétrantes de l’abdomen ou du thorax, etc… etc…) évacuer un chasseur malade sur une ambulance sans m’en référer au préalable.
En particulier vous avez confié à l’ambulance alpine de Mittbach un chasseur atteint de rétention spasmodique d’urine. Ce malade est resté 3 jours en observation à la compagnie ; vous auriez dû m’en informer. Il ya donc eu négligence de votre part et je suis au regret, sur la demande du commandement, d’avoir à prendre une sanction
Le 9 Mai 1916
Le Médecin Major Chef X…
P.S. Vous pouvez vous procurer du chlorure de chaux à l’ambulance alpine. Ci-joint un bon.
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Lettre d'un adjudant racontant ses blessures et une de ses fiches de tri. L'orthographe et la ponctuation ont été respectées dans la transcription | ||
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Tu voudrais savoir me dis-tu quelques détails de mon dernier combat ? la mort me frola de si près que d’y penser j’en frissonne encore. Je vais te conter cela en quelques lignes, le plaisir pour moi sera double, je commencerai par la pensée avec un excellent camarade et je revivrai quelques temps ces moments tragiques au plus haut point, où tout était empoignant, je reverrai cette course à la mort de jeunes gens pleins d’ardeur et de force et reverrai aussi plus d’un acte de sublime courage. Aux environs d’Etain, à quelques kilomètres des Eparges, 4h du soir. Le bataillon est déployé à la lisière d’un bois, le commandant fait appeler les commandants de compagnie. ¼ d’heure de conversation que l’on sent fébrile mais plein de décisions. Les capitaines ou lieutenant quelques uns presque imberbes regagnent les emplacement de leur unité respective, ils ont tous la figure grave, les lèvres légèrement pincées et les hommes s’aperçoivent bien que ça va chauffer ! le morceau sera dur à avaler. Les chefs de section à moi ! nous fait dire le Lieutenant C un superbe gars de 23 ans, joli comme une fille mais plein de volonté. En quelques mots il nous met au courant, but de l’attaque : enlever un fortin et avant cela une ligne de tranchée, nous devons tenir compte que nous sommes pris de flanc par deux mitrailleuses : la 1ère section et la 2ème (moi en l’occurrence) marcheront en avant, suivront en 2ème ligne à 700 m les 3ème et 4ème (la 3ème s/lt Mac C. d’Hénin) heure de l’attaque 5h1/2. Nous chefs de section nous nous regardons tous, nous avons légèrement pali c’est presque notre arrêt de mort que l’on vient de nous dicter, amis pas un mot ; le lt nous serre la main, nous nous souhaitons bonne chance, Mac les larmes aux yeux m’embrasse comme un frère et ne peut rien dire Quelques mots aux hommes ; description du terrain d’attaque en face pour une crête courbe, nous occupons le centre, un peu à gauche le fortin (6 mitrailleuses), de flanc à 45°, 2 autres mitrailleuses derrière, une batterie de 105. Je me munis d’un fusil, laisse pour compte mon sabre, un coup de sifflet et nous bondissons, moi, de quelques mètres en avance sur la ligne. A ce moment en un rapide éclair je revois toute ma vie, je revois ma petite famille à qui je m’étais voué, à qui j’avais promis sinon richesse, du moins bien être, à elle va ma dernière pensée, puis tout entier je me jette en avant. Déjà l’œil subtil du guetteur boche a surpris notre attaque et leur mitrailleuses, armes tant sensibles, crachent leur balles à toute vitesse en quantité énorme. Nous en sommes environné de toute part, tel un essaim d’abeilles fonçant sur l’intrus qui ose renverser leur ruche, leur domaine. Une fraction qui nous prolonge sur la gauche surprise sous le feu de l’artillerie, chaque obus bien pointé a des effets terribles, les pauvres corps volent en éclat et retombent inertes, déchiquetés. Les hommes executent à la lettre les commandements de couchez vous ! , en avant, mais malheur ! à chaque bond nouveau, la ligne s’éclaircie et il nous reste encore 20 à 30 mètres à faire. Les cris atroces et les rales des blessés, des mourant se mêlent au crépitement sec des « moulins à café » Dieu sait qu’ils tournent. C’est l’instant critique, il ne faut laisser les hommes sur cette pénible impression de quelques centimètres, je me lève sur les coudes et les pieds le sifflet au lèvres prêt à bondir, mais un coup sourd, un coup d’assommoir me frappe à pleine poitrine, je pousse un ouah et je m’effondre. Quelques hommes m’ont vu. L’adjudant est touché ! dit l’un deux, qu’avez-vous me dit un autre, la bouche pleine de sang je peux à peine répondre, mais cette vue si significative et quelques regards pleins de douleurs et de tristesse semblent me dire un dernier adieu ! Par un effort surhumain je veux me trainer et me mettre à l’abri derrière un cadavre, à cet instant, les mitrailleuses de flanc me fond cadeau d’un nouveau pruneau qui traverse la partie charnue de ma personne, de nouveau je m’affaisse c’est alors qu’un Deg K.…(illisible)… me dit : »vous ne pouvez rester là je vous emporte aux bois » et comme il eut pris son sac il me jette sur ses épaules et part calmement sans courir sous un feu d’enfer, de peur de me faire mal il va lentement et ne s’occupe pas de la mort qui le frole de toute part. que dis tu de cela mon cher Charles ? peut-on trouver dévouement plus grand,peut-on trouver courage plus simple et plus magnifique ? Précieusement ce brave Deg me pose derrière un talus et va appeler les brancardiers, plusieurs heures se passent impossible d’apports en chariant tout es lutte et violence meurtrière, pour tout homme debout c’est la mort certaine. Enfin un brancardier de Dourges (M…des Parmes, un copain) arrive les larmes aux yeux et me soigne tel un frère en hâte on me porte au poste de secours. J’y arrive à bout, j’avais perdu beaucoup de sang et l’air entrant par la blessure de poitrine m’avait gonflé (comme un veau) j’étais méconnaissable. Le major branle la tête tristement, l’aumonier s’approche la croix en main. Ce sont les moments les plus terribles que j’ai jamais vécus. Eh quoi ! alors c’est bien fini ! je ne reverrai plus ma femme et mon Jean adoré, qui nous …(illisible).. d’avenir, eux qui attendaient tant de moi. C’est à ces moments là, cher ami, qu’on comprend ce qu’est une famille, c’est à ces moments là que l’on sait l’étendue du bonheur qui fuit ! Terrible !
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